J'irai jusqu'au bout du monde si c'est la volonté de Dieu...  

Nous avons entendu la voix de notre prochain

qui est par toute la terre ;

nous avons entendu la voix des pauvres 

qui sont les membres de Jésus Christ,

qui sont nos frères

dans tel pays que ce soit...

Ils nous doivent être tous également chers.

 

Il est complexe de présenter Sainte Jeanne Antide Thouret sur une page Internet...

Théodule Rey-Mermet en a rédigé 620 pages qui constituent le magnifique ouvrage "Nous avons entendu la voix des pauvres".

Aussi vais-je emprunter à Monseigneur Lucien Daloz, sa postface tirée de l'ouvrage cité plus haut qui ne constitue pas une biographie détaillée mais qui dépeint un tableau splendide de cette sainte, née chétive mais dont le cœur a reçu toute la force venant de Dieu...

"Il peut sembler paradoxal que cet ouvrage se termine sur une postface de l'archevêque de Besançon. N'est-ce pas d'un archevêque de Besançon que Jeanne-Antide Thouret a reçu sa plus grande humiliation, celle de se voir interdite dans les maisons qu'elle-même avait fondées ? N'est-ce pas ce même archevêque qui a compromis son œuvre, en provoquant, par son obstination, la division parmi ses filles ?.. II est vrai qu'avant Mgr de Pressigny, il y eut un autre archevêque, Mgr Lecoz.

Après un temps de défiance devant ce « jureur », Jeanne-Antide comprit combien elle pouvait s'appuyer sur lui. Il l'avait protégée contre la première tentative de mettre la main sur sa fondation, et ce soutien ne se démentira jamais. Un seul point commun, peut-être, entre les deux archevêques assez déconcertant pour celle qui se voulait fille de l'Eglise: ils furent tous deux en délicatesse avec Rome! C'était le temps du gallicanisme...

Qu'on interprète aujourd'hui ces quelques lignes comme une réparation ou comme une action de grâces, il reste que c'est certainement de Besançon et de la Comté qu’on peut mieux percevoir, à la lecture de l’ouvrage du Père Rey-Mermet, qui était Jeanne-Antide Thouret. Non seulement parce qu’elle en était issue, mais parce qu'il est manifeste qu'elle est toujours restée une vraie Comtoise, sur les routes d'Europe centrale comme à Sancey, à Naples comme à la rue des Martelots. «Comtois, rends-toi. Nenni ma foi ! ... ». Après qu'elle eut compris sa vocation, plus rien ne pourra se mettre en travers de sa route. Ni les réticences familiales, ni les maladies les plus douloureuses, ni les expulsions ou les persécutions, ni les longues errances solitaires et périlleuses... Plus durs encore seront les obstacles venant des hommes, des jaloux, administrateurs, laïcs, prêtres ou évêques, français ou italiens, Elle ne déviera plus. Même à l'archevêque qui vient compromettre son œuvre, elle n’hésitera pas, à maintes reprises, à taire ses « représentations ». Elle est sûre que finalement, le jour où Dieu voudra, son œuvre sera rétablie dans son intégrité. Ce qu'elle n’obtiendra pas des hommes, elle ira le demander à Dieu. Et elle l'obtiendra : moins de 150 ans plus tard, cessera de nouveau l'Union. Il y a quelques années, la France célébrait le deux centième anniversaire de la grande Révolution, qui l'a à la fois bouleversée et remodelée. A travers les péripéties de la vie de Jeanne-Antide, nous pouvons observer ce que cette révolution a signifié pour ce qu'on appellerait aujourd'hui la France «profonde » : les divisions, persécutions, exécutions, les fidélités et les trahisons, l'exil et le retour... et surtout la misère qui engendre des pauvres de toutes sortes: affamés, malades, illettrés, hommes et femmes, enfants, soldats perdus... Sans oublier la dégradation morale, l'oubli ou la perte chez beaucoup de toute foi et religion. Jeanne-Antide, partie en 1787 de la maison familiale pour aller servir les pauvres et les malades chez les Filles de Saint Vincent de Paul, ne s’est-elle pas trouvée providentiellement préparée et armée pour ce service lorsqu'elle sera immergée dans l'immense misère de l'après-révolution ? Préparée par la compétence et le savoir-faire, armée d'une volonté forgée dans l’affrontement de tant d'épreuves, physiques, morales et spirituelles, Elle pourra s'investir à bras le corps dans toute cette misère, sachant, par sa bonté et sa force de caractère, rendre leur dignité à ceux et celles vers qui la pousse son désir insatiable de servir les pauvres. En fidèle disciple de saint Vincent, elle sait que le moindre détail, la plus petite attention, le geste le plus humble, sont une manière de servir à la fois Jésus-Christ et les pauvres, Jésus-Christ dans les pauvres. Le plus étonnant peut-être, c'est qu'en même temps qu’elle s'adonne personnellement aux tâches les plus concrètes et les plus fatigantes, elle ait voulu et pu prendre le temps d'accueillir des compagnes, de les former aussi bien professionnellement que spirituellement, pour en faire en peu d'années une nouvelle Congrégation qui prendra ensuite I'ampleur que nous lui connaissons.

Comtoise, Jeanne Antide l'est aussi pleinement par son caractère actif, réaliste, efficace. Elle a hésité un moment entre la vie contemplative du Carmel et le service des pauvres.

Cela n'a pas duré longtemps. Dans son enfance et sa jeunesse, si elle avait appris à lire, elle ne savait pas écrire. Mais elle savait travailler de ses mains. Il lui a fallu, à seize ans, à la mort de sa mère, assumer les responsabilités familiales. A plusieurs reprises dans ses lettres, elle énumère tout ce qu'elle-même et ses sœurs sont amenées à accomplir pour les enfants ou les malades, jusque dans les plus petits détails: «Nous leur laverons le visage, les mains et les pieds, nous leur couperons les ongles, au besoin les cheveux, et les peignerons... .» Elle ne se paie pas de mots. Elle ne fait pas de discours, surtout pas de discours préalable ». Lorsqu'elle parlera, c'est pour orienter son œuvre, dont elle rédige la règle, pour la défendre contre ceux qui voudraient la détruire, ou pour expliquer et justifier ce qu’elle a réalisé. Même ses prières sont «engagées », marquées par des situations, des événements, des épreuves. Elle n'est pas de ceux qui disent, mais de ceux qui font. Et pourtant, et ce n'est pas le moindre trait de sa personnalité, cette femme si volontaire, si efficace, qui sait tenir tête alité, hommes quel que soit leur rang, reste pleinement féminine ou tendre pour ses sœurs, pour les enfants, les malades, les membres de sa famille; profondément vulnérable aussi, ressentant intimement, mais sans raideur ni amertume, les humiliations et les calomnies, apprenant année après année ce que veut dire: être « crucifiée ». «Crucifiée »... C'est probablement un mot-clé pour la compréhension de la vie spirituelle de sainte Jeanne-Antide. On hésite même à parler de vie « spirituelle », tant sa « vie» tout court est pétrie de sa foi. La ligne de continuité la plus nette unifiant son existence mouvementée est sans aucun doute le désir tenace et sans faille de faire la volonté de Dieu Et cela quoi qu'il en coûte. Il lui faudra parfois chercher sa route, passer par des détours inattendus. Mais en elle-même, rien ne dévie. On pourrait croire, tant est grand son désir de fidélité dans les plus petites choses, et tant sont précises ses recommandations à ses filles, que sa spiritualité est plus «morale » que « théologale ». Ce serait une grave erreur. C'est bien au cœur de la foi chrétienne qu'elle puise ce qui l'inspire et la guide, on aurait envie de dire ce qui l'imprègne, depuis son enfance, et qui se fortifie au fur et à mesure des épreuves et des « relectures » qu'elle fait de sa vie. Le cœur de sa foi, n'est-ce pas ce « Dieu seul », qu'elle pouvait lire dans I'houtô de la maison paternelle, comme dans celui de tant de maisons comtoises ? N'est-ce pas Jésus-Christ qu'elle veut servir dans les pauvres, et Jésus-Christ crucifié, avec qui elle se dit « disposée à souffrir »? N'est-ce pas I'Esprit Saint par lequel elle veut se laisser diriger ? Et l’Église, dont elle est fière de se proclamer « la fille », et à laquelle elle est fidèle partout où Dieu l'appelle? La « spiritualité » de sainte Jeanne-Antide va droit au centre de la foi, elle s’y tient sans se perdre dans des subtilités. Elle fait partie de ceux dont la liturgie dit qu'ils servent Dieu « avec droiture ». Elle ne lâchera jamais la prière, sa plus fidèle compagne, bien avant même qu'elle n'attache à son cou cette admirable supplication qu' elle compose aux jours de la détresse, tout cela, et beaucoup d'autres choses, le Père Rey-Mermet a su nous le faire découvrir ou redécouvrir, dans une biographie solide, documentée, vivante, qu'on lit d'un bout à l'autre sans que jamais l'intérêt se lasse. C'est avec reconnaissance que nous pouvons apprécier ce cadeau, pour nous faire entrer dans l'année du bicentenaire de la Congrégation des Sœurs de la Charité de sainte Jeanne-Antide. Que me soit permis, en terminant, ce simple témoignage : L'empreinte dont Jeanne-Antide a marqué son Institut est si personnelle, si vigoureuse, qu'elle est toujours bien clairement reconnaissable, vivante et agissante, chez celles qui continuent son œuvre, partout dans le monde, au service de Dieu et des pauvres."

Lucien DALOZ, Archevêque de Besançon